… une belle réflexion trouvée récemment et que je partage entièrement…

Une fois qu’ils ont pris conscience et saisi la portée de la violence éducative ordinaire, les parents se demandent souvent « comment faire autrement ». Ces dernières décennies sont apparues de nombreuses méthodes fondées sur des principes éducatifs se disant non violents. Si ces méthodes constituent indéniablement un progrès par rapport au bâton, elles comportent nombre de failles par lesquelles peuvent s’infiltrer des relents de violence déguisés. On voit alors que la décision de traiter ses enfants avec le respect qui leur est dû ne peut se résumer au choix d’une méthode et ne peut faire l’économie d’une réflexion profonde sur la nature de la violence et des diverses formes, parfois insoupçonnables, qu’elle peut revêtir.

Communication non-violente de Marshall B. Rosenberg, méthode Faber et Mazlish, éducation sans punition de Thomas Gordon, depuis quelques décennies les méthodes éducatives se présentant comme non violentes se multiplient, inspirant en Europe et en particulier en France, le mouvement de la « parentalité positive [1] » dont le Conseil de l’Europe fait la promotion en parallèle de la demande d’interdiction des châtiments corporels et autres traitements humiliants envers les enfants dans ses États membres. On les désigne habituellement dans les réseaux de parents par le sigle CNV même si elles ne se réclament pas toutes directement du travail de Marshall B. Rosenberg. Ces méthodes sont, pour la plupart, dérivées de méthodes initialement conçues pour les adultes et dont on a transposé les concepts et les outils aux relations parents/enfants. Elles se fondent toutes peu ou prou sur le présupposé selon lequel nous ne savons pas communiquer (nos sentiments, nos besoins, nos demandes) et semblent avoir pour but principal d’éviter tout conflit. Il s’agit dès lors d’apprendre à communiquer efficacement, l’agression verbale, le jugement de valeur, l’accusation et autres procédés blessants étant considérés, à juste titre, comme infructueux. Les différentes techniques de communication proposées par ces méthodes se ressemblent passablement : reformulation (reformuler, à plusieurs reprises si besoin, un énoncé entendu pour s’assurer qu’on l’a bien compris), « messages je » (parler à la première personne du singulier, partir de soi et de ce qu’on ressent plutôt que d’asséner des « tu » accusateurs), expression des besoins et des sentiments, description de sa perception d’une situation, offrir des choix, etc. Ces méthodes ont en commun qu’elles parient essentiellement sur les vertus de la parole, du discours, des mots, censés résoudre tous les antagonismes, en même temps qu’elles enflent l’influence du langage verbal au détriment des modes d’expression non verbaux. Ici la parole est un outil qui, s’il est bien maîtrisé, permet de façonner les situations à sa guise, même et surtout lorsqu’on rencontre une résistance. La faille principale de ces techniques réside en leur formalisme (et la tendance de certains utilisateurs à s’y conformer et à s’en contenter, peut-être par manque de confiance) qui leur confère un caractère artificiel, apprêté voire calculateur. Alors l’écueil principal de la méthode appliquée sans conscience est d’exercer une autre forme de violence travestie, par le discours, en attitude respectueuse toute formelle. En outre, il est à noter que ces méthodes consistent uniquement en descriptions théoriques de concepts et techniques qui n’ont jamais fait la preuve de leur efficacité ou de leur utilité.

Autrement mais se faire obéir tout de même

Alertés par les méfaits des méthodes éducatives traditionnelles, les parents qui ne souhaitent pas reproduire la violence qu’ils ont subie et qui constitue leur expérience banale des relations parents-enfants se trouvent la plupart du temps démunis, privés de la référence à un modèle de parentalité positif. S’ils doivent renoncer aux principes éducatifs qu’ils pratiquaient avant de comprendre leur nocivité, ils se mettent en quête de nouvelles références. Souvent, ils se demandent « comment faire autrement », par quoi remplacer les vieilles mauvaises habitudes. Dans leur prise de conscience de la violence éducative ordinaire (qui s’opère la plupart du temps à la faveur d’une lecture), ils auront sans doute rencontré des suggestions de méthodes alternatives comme la méthode Faber et Mazlish en vogue au sein de bon nombre d’associations de parentalité respectueuse. Ils débarquent alors aux ateliers pour parents ou sur les forums d’Internet avec des dizaines d’exemples de difficultés d’éducation concrètes. Ce sont des situations tout à fait banales et récurrentes : « Il ne veut pas s’habiller. Mais il faut bien que j’aille chercher ma fille à l’école », « Elle hurle à chaque fois que je refuse de lui acheter ce qu’elle demande. Mais on ne peut pas tout avoir dans la vie », « Il refuse tout ce que je lui propose. Mais il faut bien qu’il mange », « Je ne peux pas le laisser mordre tous ses copains ! », etc. Régulièrement, l’enjeu principal est de se faire obéir ou d’obtenir ce qu’on veut ; de régler le conflit en sa faveur (car bien peu imaginent comme une solution valable que le conflit soit réglé en faveur de l’enfant ; le laisser en pyjama, lui acheter le camion, le laisser ne rien manger, etc.) mais autrement qu’à coups de punition, de chantage ou de fessée. Les parents voudraient plus ou moins tous, au mieux, que leur enfant ne s’oppose jamais à leur volonté (ce qui est bien sûr un vœu pieu) ou, au moins, obtenir le même résultat (à savoir que leur volonté s’accomplisse) toutefois sans éclats. Mais alors faire autrement s’apparente à faire la même chose un peu différemment. Et si la violence résidait en fait dans la situation même (un adulte qui veut imposer sa volonté à un enfant) et pas seulement dans la façon dont elle est gérée ? Et si la violence n’était pas dans la forme mais dans le fond ? La forme peut être trompeuse ; une violence qui ne se voit pas n’en demeure pas moins une violence. Le recours à un mode de résolution qui n’a que les apparences du respect se révèle plus nocif encore qu’une coercition assumée, parce qu’il brouille la perception de ce qui est en réalité un abus. Réduite à ses formes visibles, bruyantes, scandaleuses, la violence peut tranquillement continuer de s’exercer. Présentée, labellisée comme douce et respectueuse, la CNV (au sens général décrit plus haut) propose souvent du prêt-à-éduquer de remplacement (les formules du type « ne faites pas – faites plutôt ») que les parents, tout pleins de bonne volonté qu’ils sont en général, appliquent consciencieusement ; et ils soignent tant et si bien la forme que le fond du problème leur échappe.

Étude de cas

Mais voyons plutôt un exemple. La maman d’un garçon de 5 ans voudrait faire une course. Le petit garçon n’a pas du tout envie de sortir, il est fatigué ou il est très absorbé par son jeu. La maman, qui a peut-être lu Parents efficaces [2] de Thomas Gordon ou Parler pour que les enfants écoutent, écouter pour que les enfants parlent [3] d’Adèle Faber et Elaine Mazlish, ouvre la penderie et dit alors : « Tu peux choisir ton manteau si tu veux. Tu voudrais le jaune ou le tout doux à capuche ? » C’est le fameux outil qui consiste à offrir des choix. Nous notons au passage l’emploi abusif du mot « choix » en cette occurrence ; le choix authentique est celui dont la négation est au fondement du conflit, sortir ou ne pas sortir. Les alternatives proposées ne « coûtent » rien au parent et donnent à l’enfant une impression de liberté qui serait propre à l’apaiser et le rendre coopératif. Cela pourrait sembler de bonne guerre si ce n’était pas déconcertant d’incongruité et tout à fait inique. On comparerait volontiers cette situation à celle du condamné sommé de choisir son instrument de torture. Tout d’abord, il semble assez naïf d’imaginer qu’un enfant puisse se laisser prendre par ce genre de procédé ; l’efficacité de la tentative est plus que douteuse. Ensuite, en supposant que cela fonctionne, notamment chez un enfant manipulé de longue date, le procédé apparaît comme notoirement violent. En effet, il s’agit d’emmener un enfant quelque part (une situation, un lieu) où il a clairement exprimé ne pas vouloir se rendre pour des raisons tout aussi valables et sérieuses que celles qui motivent le parent ; l’y emmener et lui faire accroire qu’il a eu le choix. Peut-être est-il utile ici d’imaginer ce que nous ressentirions si quelqu’un tentait de nous manipuler de la sorte ; peut-être alors percevrions-nous la violence du procédé, lui préférant l’expression non équivoque d’une coercition à laquelle nous pourrions alors clairement opposer notre liberté. Les adultes disposent de moyens intellectuels pour mettre au jour la manipulation et la combattre. En revanche, les enfants sont trop immatures pour la dénoncer alors même qu’ils sont parfaitement capables de la percevoir. Assumer sereinement sa décision et accueillir, écouter la frustration ou la colère de son enfant tout en lui expliquant qu’il n’a, en fait, pas le choix, est une façon sans doute plus saine d’agir avec lui. Mais il est si difficile d’entendre et d’accompagner la frustration qu’il nous semble préférable de la leurrer. On peut bien sûr aussi réfléchir à ses propres motivations, décider qu’il n’est pas si important que cela de faire cette course aujourd’hui et attendre un moment plus propice. Encore faut-il être en mesure de renoncer à l’accomplissement de sa volonté, en avoir la possibilité physique (il y a sans doute des indications absolues d’imposer sa volonté à un enfant) ou en avoir le cœur (ce qui requiert une bonne dose de remise en cause ou de réévaluation de ses besoins dans le but de donner la priorité aux besoins de son enfant). La question est alors : est-on prêt à ne pas obtenir de résultat, à ne pas être efficace mais simplement bienveillant ? Est-on prêt à négocier (proposer une vraie compensation, un échange : sur le chemin, il y a sûrement un joli manège, un bon pâtissier ou des petits camarades à visiter), voire à céder, à revoir ses besoins pour prendre en compte ceux de son enfant ? Plutôt que « faire autrement », est-on prêt à « ne pas faire » pour simplement être dans l’acceptation ?

Pas dupes

Les enfants sont sans doute bien plus sensibles que les adultes à la violence et aux procédés irrespectueux. Contrairement à ces derniers qui sont souvent littéralement désensibilisés et conditionnés, par leur éducation, à ne pas percevoir cette violence, ils sentent lorsqu’on veut les manipuler. Et ils ne sont pas dupes ! Il arrive régulièrement qu’ils se mettent dans une colère noire lorsque leur parent, aveuglé par la technique de communication, ne voit pas, n’entend pas leur profond besoin. Certaines situations difficiles donnent envie de hurler sa frustration ou sa colère et la gestion que proposent les méthodes de communication peuvent apparaître comme des façons de lisser les problèmes plutôt que de les prendre à bras-le-corps. En général, c’est à l’adolescence que les enfants n’entendent plus se laisser « berner » par une technique et qu’ils exigent d’être traités avec dignité, comme on traiterait un adulte, à savoir en égal. Justement, une bonne façon, simple et rapide, de juger de la justesse d’un comportement envers son enfant est d’imaginer ce que l’on ressentirait si l’on était traité de la même manière. Imaginez donc votre patron vous dire : « Vous vous sentez frustré parce que j’ai refusé votre augmentation. Vous avez le droit d’être en colère. » Comprendre vraiment son enfant, c’est se mettre à sa place, adopter son point de vue ; c’est la condition même de l’empathie. Et à vrai dire, les adultes finissent aussi par identifier les pièges, surtout lorsqu’ils préfèrent finalement se laisser guider par leurs enfants. Bon nombre d’entre eux qui ont été séduits par la théorie et les outils de la CNV confessent a posteriori les limites et la rigidité de la méthode. Les critiques et griefs peuvent néanmoins être très véhéments et il existe des groupes de parents qui déconseillent expressément l’usage de la CNV qu’ils considèrent comme dangereuse. Les méthodes de la parentalité positive ont probablement beaucoup de valeur en ce qu’elles prennent acte de l’inacceptabilité de la violence éducative ordinaire et incitent les parents à remettre en cause leurs réflexes éducatifs délétères et à proposer un lien plus respectueux. Elles peuvent même être efficaces si chacun joue le jeu de la communication en vue de la résolution d’un conflit. Cependant, elles impliquent une égalité des moyens intellectuels ou cognitifs (et notamment des compétences logiques, linguistiques et métalinguistiques) de part et d’autre de la relation, ce qui n’est pas le cas entre un enfant et un adulte (cela n’est d’ailleurs pas toujours le cas entre deux adultes). Il est donc nécessaire de rester très vigilant car la dérive vers une coercition d’autant plus nocive qu’elle avance masquée menace. Son allure de technique peut s’avérer très horripilante et échauffer davantage les esprits. Son caractère presque mécanique peut se révéler un obstacle à une compréhension authentique de l’autre. Sa visée d’efficacité peut compromettre une identification et une remise en cause complète de la violence qui est au fondement de notre culture misopède.

Daliborka Milovanovic et Victorine Meyers

 1 Voir l’article de l’OVEO « Et si la parentalité positive n’était pas si positive que cela » : http://www.oveo.org/et-si-la-parentalite-positive-netait-pas-si-positive-que-cela/

 2 Éditions Marabout (2013).

3 Aux éditions du phare (2012).

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